Les montres high-tech: un enjeu majeur pour les fabricants d'électronique
La montre connectée est, à n'en pas douter, la prochaine (r)évolution de l'électronique grand public.
D'aucuns pensent même que les ventes de la seule montre d'Apple pourraient atteindre les 6 milliards de dollars par an.
Ce chiffre est énorme quand on le compare au chiffre d'affaire de l'horlogerie traditionnelle: 60 milliards de dollars. Alors, trop optimistes les analystes? Peut-être, mais il est sûr que l'horlogerie classique a du souci à se faire.
L'arrivée de grands noms comme Apple, Microsoft et Google dans l'horlogerie pourrait être au monde des montres, ce que les fabriquants de smartphones ont été au monde des appareils photos compacts: des fléaux ou comme diraient les Anglo-Saxons des
Juggernauts. L'industrie du luxe, seule, serait épargnée.
Les super-montres issues de la pop culture, des modèles à suivre?
Nous le savons tous, les films d'anticipation ou encore les
Comics donnent des pistes sur les tendances technologiques à venir. Peut-on nier que le
communicator de Star Trek a influencé et le design et les fonctionnalités de nos téléphones dans les années 90-00? que Siri n'a pas été inspiré par HAL ou que la
Natural User Interface (NUI) vue dans M
inority Report n'a pas influencé Kinect de Microsoft?
La montre high-tech qui a le plus durablement
marqué les esprits et les médias est celle de Dick Tracy (policier, héros d'un
comic américain des années 30). En 1946, Dick Tracy utilisait la radio sur sa montre, en 1964, il y regardait la TV... Voilà les fantasmes d'après-guerre: pouvoir utiliser ce qui représentait le must des gadgets de l'époque (radio et TV) dans un format portatif.
D'autres montres, comme celle de James Bond ou celle de Penny dans l'
Inspecteur Gadget, sont allées plus loin encore, proposant par exemple la vidéo-conférence sans fil.
Avant même la commercialisation des premières montres intelligentes dans les années 2010, l'idée que nous nous faisions d'elles était donc plus ou moins établie.
Dans l'esprit de la plupart d'entre nous, la montre intelligente est un mélange de deux montres dans le format classique de la montre poignet:
- une montre communiquante permettant d'échanger avec le monde
- une montre connectée qui permet d'accéder à des flux d'informations et de notifications
Microsoft SPOT: de la montre traditionnelle à une montre de flux de données
Avec le lancement de SPOT en 2004, Microsoft fait figure d'avant-garde de cette industrie. SPOT était une technologie d'envoi d'informations par ondes FM (via le réseau MSN direct). Elle fût utilisée notamment sur trois modèles de montres et sur différents appareils électroniques.
Microsoft s'était associé à trois marques: Fossil, Suunto et Tissot pour démocratiser ce format. Mais cela n'a pas suffit: les montres ont cessé d'être commercialisées en 2008 et les services de radio-transmission ont vu fin le 31 décembre 2011.
Dotée d'un écran monochrome 90×126, la Tissot Hight T, pour ne prendre qu'elle, n'était pas à proprement parler intelligente, elle permettait d'afficher des flux d'informations fournies par MSN Direct avec une interface tactile.
Pourvu qu'on se trouvait à proximité d'un émetteur, météo, cours de la bourse et autres articles étaient à portée de poignet, mais dès que l'on se trouvait en zone blanche, la montre redevenait simple montre.
L'idée était là, mais Microsoft et ses partenaires n'ont pas cherché à faire évoluer le concept, trop dépendant de la réception FM locale. Si l'on ajoute à ce facteur l'autonomie ridicule (3-4jours) des montres SPOT par rapport à une montre quartz et un prix trop élevé on comprend mieux l'échec du concept.
Sony Ericsson MBW100, la montre compagnon du téléphone
Quand Sony Ericsson s'est associé en 2006 à Fossil pour fabriquer une montre, les deux entreprises ont opté pour utiliser ce format comme un second écran du téléphone via une connectivité bluetooth.
La MBW100 pouvait ainsi montrer sur un minuscule bandeau OLED les appels entrant sans avoir à sortir l'appareil de sa poche. Elle permettait également de contrôler le lecteur musical walkman de votre téléphone.
Des grands constructeurs d'électronique, Sony Ericsson est celui qui a ancré l'idée qu'une montre connectée devait être une extension du téléphone et non un objet indépendant, comme l'était la SPOT de Microsoft.
Sony Ericsson a continué de croire au concept et l'a même amélioré au fil des générations (MBW150, MBW200, LiveView) en s'émancipant au passage de son partenariat avec Fossil.
Sony, une fois la part d'Ericsson rachetée, a poursuivi dans cette voie en lançant l'an passé la première génération de Smartwatch, puis cet été la deuxième génération (dont vous pouvez voir l'illustration en haut de l'article).
La montre communicante: une impasse?
La troisième étape* de ce retour en arrière dans la génèse de montres intelligentes, nous ramène en 2009, lorsque LG a présenté au MWC la
Watch Phone GD910.
La Watch Phone est la première montre à avoir eu une connectivité 3G. En plus des capacités de téléphonie, ce jouet pouvait également passer des appels visio, grâce à l'ajout d'une caméra au dessus de l'écran.
La commande des différentes actions s'opérait via une dalle capacitive de 1.43 pouce (vous pouvez en voir la démonstration dans cet
article d'Eric Dupin sur presse-citron).
Force est de constater que cette montre-téléphone a été un échec, puisque LG n'a pas osé réitérer l'expérience. Quelle en est la cause: problème d'autonomie? d'opérabilité? ou de faible maturité de la technologie à l'époque de la sortie?
C'est probablement le mélange de toutes ces raisons qui n'ont pas fait accrocher le grand public. Sans oublier que passer un coup de fil via cette montre sans kit oreillette devait vous faire passer aux yeux de tous pour un zinzin fini.
Un constructeur peut-il couper l'herbe sous le pied d'Apple et si oui, comment?
Telle est la question qui se pose aujourd'hui. Depuis la sortie de l'iPhone en 2007, sortie qui a modifié à jamais le paysage de l'éléctronique portable, les rumeurs sur le lancement d'une montre par Apple et les concepts les plus fous (cf. ci-contre) n'ont cessé de circuler.
Selon
Bloomberg, environ 100 employés de l'entreprise californienne travailleraient à plein-temps sur ce projet qui pourrait voir le jour l'an prochain.
Afin de ne pas jouer l'éternel second (comme cela a été le cas avec ses smartphones et ses tablettes) Samsung a pris le taureau par les cornes en annonçant la
Galaxy Gear à l'IFA 2013.
Mais les montres de Sony et de Samsung dévoilées cet été seront-elles à même de concurrencer celle d'Apple? Ou le tueur d'iWatch viendra-t-il d'ailleurs?
Nb: la suite de l'article page 2
Quels matériaux, quels styles?
Afin de plaire aux plus nombreux, la montre connectée idéale doit avoir un boîtier métallique ou en céramique et doit proposer une variété d'options de bracelets allant du cuir, au plastique en passant par le métal. Elle doit être belle.
Oui la montre est un accessoire, utile certes, mais un accessoire avant tout.
On peut se permettre de posséder un téléphone "pourri", on peut difficilement, par contre, se permettre de porter une montre mal finie, exposée à la vue de chacun. Cette montre devra aussi être étanche afin de ne pas avoir à la retirer à la plage, à la piscine ou en prennant une douche.
Là encore et dans les matériaux et dans la finition et le design, la montre de Samsung échoue lamentablement.
L'IP 55 de la Galaxy Gear est bien en deça de ce que propose Sony (IP 57) et très très loin du concept de la Hyetis Crossbow étanche à 250m...
Quel écran?
Rond, carré, peu importe, ce n'est pas tant le format qui risque d'être déterminant, mais la qualité de l'information affichée.
L'appareil doit être lisible en toutes conditions. Et en cela l'utilisation par Samsung du Super AMOLED pour la Galaxy Gear montre que le coréen n'a toujours pas tiré les leçons des critiques émises sur cette technologie d'écran.
Comparez un iPhone et un Samsung en extérieur, par beau temps, et vous comprendrez où je veux en venir.
Qualcomm qui a également dévoilé une montre la semaine passée utilise son écran-maison, Mirasol (voir ci-contre).
De faible impact sur la durée de vie de la batterie, cette technologie permet aux informations d'être lisibles en toutes circonstances.
Quelle(s) utilité(s)?
Porter une montre n'est pas l'appannage de toutes les générations. Pourquoi porter une montre quand on a un téléphone portable? dira la plupart des jeunes nés après 1980 - aka la génération Y. Ne nous voilons pas la face, la montre est un accessoire passé de mode pour beaucoup. De plus en plus de smartphones (les Lumia de Nokia ou le Moto X de Motorola) permettent même d'afficher l'heure sur l'écran de veille des téléphones. Une montre intelligente doit donc apporter ces petits plus qu'un format comme le smartphone ne peut offrir et doit rendre un peu plus naturelle l'interaction avec ce dernier. Car sortir son appareil de sa poche toutes les deux minutes ou rester les yeux rivés sur l'écran n'est pas ce qu'il y a de mieux pour votre vie sociale, parole de phubber.
La multiplication des bracelets pour sportifs (Nike fuel, Polar etc...) est une tendance lourde de ce que sera l'éléctronique de demain. Notre rythme cardiaque, taux de glycémie etc tout cela sera sous constante surveillance, pour notre plus grand bien (enfin on l'espère). Une montre intelligente digne de ce nom devra donc posséder des capteurs biométriques (cardiaques dans un premier temps) et devra pouvoir communiquer avec les applications sportives les plus répandues sur smartphone: à titre d'exemple Endomondo et Runtastic. Nissan, le constructeur automobile, l'a bien compris en présentant cette semaine son propre concept de montre intelligente biométrique (image ci-dessous) connectée sur le web et à votre voiture.
La taille limitée de la glace d'une montre restreint
de facto les utilisations de ce type de matériel. Vouloir tout faire sur un écran de 1.6 pouces est un non-sens. Peut-être qu'à terme, ce format évoluera en taille grâce à des écrans tactiles courbés à l'image de la montre de Nissan, mais pour le moment ce format est voué à une chose:
devenir un centre de notifications voire même LE centre de notification des smartphones. Imaginez l'option suivante sur votre iPhone 6, votre Nexus 6 ou votre Lumia 2020:
Souhaitez-vous exporter toutes vos notifications vers votre montre?
Un tweet vous mentionne? il apparaîtra sur l'écran de votre montre. Un sms? le nom de l'expéditeur et le début du message s'afficheront sur la montre, idem pour les flash infos. Voilà avec la technologie que nous possédons aujourd'hui la vraie utilité de ces montres.
Quel système d'exploitation?
Le format réduit de ces nouveaux jouets nous pousse à nous demander : à quel point une montre intelligente doit-elle être intelligente? Je pense que là où Samsung se trompe le plus lourdement avec la Galaxy Gear c'est dans l'utilisation d'un OS comme Android. Car Android ne peut fonctionner de manière fluide avec une configuration matérielle faible. De plus, Sony et Samsung ont pris le parti de n'apparier leurs appareils qu'avec des appareils sous Android, limitant de fait le choix s'offrant au consommateur ne possédant pas de smartphone Android.
La montre connectée parfaite de 2013-2014 sera platform agnostic. Elle communiquera avec votre smartphone ou tablette que vous soyez sous iOS, Android, Windows 8 ou Windows Phone 8. Le constructeur de cette montre fournira un SDK pour les trois plus grosses plateformes afin que les développeurs puissent écrire des applications compatibles avec l'OS de leur choix.
Quand la technologie le permettra, ce form factor évoluera, nécessitera des écrans plus grands et deviendra plus intelligent, en utilisant un OS défini et s'émancipant peu à peu du smartphone. Mais à l'heure actuelle, vouloir absolument caser un OS mobile dans ce format est tout sauf une bonne idée, surtout avec la technologie actuelle de processeurs et de batteries. Tenez, parlons-en justement de la durée d'utilisation de ces appareils!
Quelle autonomie?
Le gros problème des montres connectées par rapport aux montres dites "classiques" est qu'elles ne peuvent souffrir la comparaison. La meilleure d'entre elles au niveau de l'autonomie est la Pebble, une montre issue du crowdfounding qui a fait grand bruit à la fin de l'an passé: elle tient une grosse semaine, notamment grâce à l'utilisation d'un écran monochrome et à un OS peu énergivores. La Galaxy Gear a, elle, une autonomie estimée par Samsung à 25h. Imaginez-vous l'état de la batterie de 360mAh après 365 charges/an... La montre de Nissan tiendrait, quant à elle, une semaine.
Si la smartwatch d'Apple parvient à une autonomie conséquemment plus élevée que celle de Samsung (pas très difficile me direz-vous), cela lui fournira un avantage de taille sur cette dernière et sur toutes ses concurrentes.
L'industrie horlogère en danger?
Nous l'avons vu dans notre brève introduction, quand la galaxie horlogère numérique va entrer en collision avec la galaxie horlogère classique les dégâts risquent d'être très cataclysmiques pour cette dernière.
La majorité des horlogers ne semblent pas en prendre mesure (
1 &
2 ). Des analystes estiment que cela n'amputera le groupe Swatch que de 5% son chiffre d'affaires. Les principaux horlogers touchés par le déferlement de montres intelligentes seraient, à en croire ces mêmes analystes, américains et asiatiques.
Rappelons que c'est la même h
ybris qui coûta leurs places de leader à Microsoft et à Palm quand Apple commercialisa son premier iPhone. Ils ne peuvent aujourd'hui qu'amèrement constater ce qu'il en a été: Windows Phone possède 3.5% de PDM, Palm n'existe plus.
Certes 80% du chiffre d'affaire des montres en Suisse est réalisé avec des montres coûtant 1000 francs et plus (environ 800 euros). Mais n'est-ce pas se voiler la face que de penser qu'une partie de la clientèle traditionnelle de l'industrie du luxe ne sera pas tentée de laisser de côté sa Jaeger LeCoultre pour une montre qui fait presque le café, quite à la personnaliser avec quelques diamants (comme cela s'est vu sur des coques d'iPhone)??
Certains horlogers suisses audacieux ont cependant pris les devants.
Nous vous partlions il y a quelques semaines de cela de la
Crossbow d'Hyetis, première montre intelligente suisse (illustration ci-contre).
Mais d'autres projets sont également à l'étude, comme l'indique ce reportage de RTS (Radio Télévision Suisse) la semaine passée.
Tout indique que nous n'en sommes encore qu'aux préparatifs de cette guerre des montres. Elle n'éclatera donc pas en 2013, mais en ... 2014!
L'an prochain en plus de Sony et de Samsung d'autres grands noms de l'industrie électronique lanceront leur montre.
Dans les starting blocks sont annoncés Apple, Google, LG, Dell, Microsoft pour ne prendre que les principaux.
Le combat risque d'être épique.
https://www.accessoweb.com/video/
*Nous avons sciemment passé sous silence toutes les autres montres gadgets (montres calculatrice et autres montres télécommande TV) qui ont eu un succès très relatif dans les années 90.
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